Vous savez-quoi? Je suis un NIMBY. C’est quoi ? Je vais tout vous expliquer.
Il se trouve que j’ai émis quelques objections à l’installation, à côté de chez moi, d’une carrière industrielle. Par les moyens les plus légaux et démocratiques qui soient : j’ai simplement donné mon avis, aussi critique qu’argumenté, à l’occasion d’une enquête publique préalable à une décision d’autorisation d’ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement).
Procédure tout à fait ordinaire dans le cadre du code de l’environnement, lequel est censé protéger, entre autres, les citoyens de base concernés par une telle « installation classée » contre les débordements des aménageurs, entrepreneurs, développeurs etc… de tout poil quelquefois prêts à tout bousiller pour faire du fric, dans l’intérêt des masses laborieuses bien entendu.
Parmi les arguments massue qui m’ont été opposés, celui qui a éliminé toutes les objections que j’avais formulées avec quelques autres personnes, c’est que je suis un NIMBY. In english : Not In My Back Yard (pas dans mon jardin !). Autrement dit : je suis un égoïste, un individu asocial, qui préfère son petit confort personnel à l’intérêt général.
Voici brièvement les faits : profitant du fait qu’un terrain voisin faisait l’objet, depuis la nuit des temps, d’exploitation de petites carrières artisanales, dans la tradition sympathique des paysans-granitiers des Hautes-Vosges, un industriel de la région a déposé, et obtenu sans coup férir, l’autorisation de transformer progressivement ce site en une carrière industrielle importante, avec concasseur, dépôt d’explosifs etc … Je vous laisse imaginer le bazar : pelleteuses, bulldozers, concasseur, méga marteaux-piqueurs, tirs de mines, bruits incessants, poussières, défilés de camions, etc… Tout ça dans une zone dite « naturelle » du PLU local, au beau milieu d’un parc régional dit « naturel », et dans un secteur situé à 900m d’altitude théoriquement protégé par la loi dite « montagne ».
La totale, et le tout pour au moins 30 ans.
Vous me direz sans doute : faut bien des cailloux pour améliorer les routes, même si on s’empresse ensuite de les dégrader avec des chicanes, terre-pleins, bordures de trottoirs et autres obstacles ajoutés dans un louable souci de sécurité.
Faut bien, aussi, des cailloux pour aménager les terrains destinés à accueillir les zones commerciales qui embellissent nos villes et en font crever les commerçants, pour remplacer les zones humides parfaitement inutiles par des parkings à bagnoles bien plus utiles, pour rajouter ça et là quelques « carrefours giratoires » dont notre pays est déjà le champion du monde toutes catégories, ou pour renforcer les digues de la centrale de Fessenheim dont on nous promet la fermeture dans deux ou trois ans.
Effectivement, il n’y a rien de plus urgent : heureusement qu’il y a des exploitants, des politiques, des préfets, etc. qui veillent sur notre bien-être en soutenant sans états d’âme de tels projets porteurs d’avenir, contre tous ces NIMBY empêcheurs d’aménager en rond.
Et puis, il est vital de soutenir l’industrie du caillou français quitte à jeter au passage encore un peu plus d’argent public par les fenêtres. On appelle cela le patriotisme économique. L’environnement attendra. Et qu’importe l’avis des riverains les plus pénalisés : ce sont des vilains NIMBY, quasiment des traîtres à la nation.
Pour avoir donc osé apporter quelques contradictions au superbe dossier soumis à enquête publique (un millier de pages !), je me suis fait personnellement démolir par les braves gens bien-pensants du coin, surtout les moins concernés par les nuisances de cette carrière.
Depuis quelques indigènes patentés, volontiers délateurs, jusqu’au commissaire enquêteur, en passant par un lointain inspecteur d’académie (qu’est-il venu faire dans cette galère ?), dans une unanimité aussi parfaite que suspecte, tous s’y sont mis pour me dézinguer, le plus souvent à coup de propos diffamatoires à l’égard de ma personne. Toutes leurs contributions ont évidemment été remises in extremis, le dernier jour de l’enquête publique, pour m’empêcher de les voir et d’y répondre.
Leurs commentaires, sans aucun lien avec le contenu du dossier qu’ils n’avaient de toute évidence pas regardé, tournaient toujours autour de trois points : 1) Les bruits, les camions, les vibrations, les explosions, tout cela sort de mon imagination 2) L’exploitant est un pur philanthrope : comment peut-on se permettre de contester son étude d’impact ? 3) Si l’autorisation d’exploitation n’est pas accordée, la terre s’arrêtera de tourner et le ciel nous tombera sur la tête.
Dans toutes ces brillantes contributions, parfaitement spontanées bien entendu, le fond était à peu près le même. Seule la forme différait ; pour certaines, c’était carrément pitoyable …
Le plus amusant, si l’on peut dire, c’est que parmi tous ces « braves gens » si prompts à définir les règles morales que les autres doivent suivre, il s’en est trouvé pour accourir à l’enquête publique pour soutenir le projet, craignant qu’en cas d’annulation on rouvre une autre carrière plus proche de chez eux ! Je suis un NIMBY, pas eux.
Quelques unes des timides objections que j’avais faites sur ce superbe dossier : selon l’étude d’impact, plus il y a d’engins en fonctionnement (pelleteuses, bulldozers, foreuses et autres joyeusetés de ce genre), moins l’installation envoie de bruit dans l’environnement ! Ou encore : les calculs théoriques censés démontrer la conformité de l’exploitation à la réglementation acoustique défient les lois élémentaires de la physique. Ou encore : les résultats des mesures acoustiques présentés dans l’étude d’impact sont, comme par hasard, beaucoup plus favorables que ceux des mesures que je fais régulièrement moi-même. Ou encore : zut alors, le jour où ils ont fait leurs mesures, ils ont oublié de faire tourner le concasseur (120 décibels quand même : c’est le bruit d’un circuit de Formule 1) ; sans le faire exprès bien entendu.
Les vrais résultats montreraient sans peine qu’en l’état l’exploitation ne respecte pas la réglementation qui lui est applicable, et que l’autorisation n’aurait jamais due être accordée sans que soient prescrites des améliorations concrêtes sur le plan acoustique.
Et bien d’autres choses encore ; par exemple, dans une note intitulée pompeusement « avis de l’autorité environnementale » (ça en jette !) on écrit de manière péremptoire des trucs du genre : « les seuls rejets à l’atmosphère résulteront de la présence d’un ou deux engins sur le site … ». En réalité, des engins (énormes pelleteuses, bulldozers, foreuses et autres), il y en a en permanence 4 ou 5, minimum ; sans compter le concasseur alimenté par un gros groupe électrogène diesel.
Donc, pour résumer : le dossier était largement bidon.
Au final, sur recommandation de l’exploitant et dans la ligne des contributions éminemment pertinentes des braves gens, rappelées plus haut, toutes mes demandes d’amélioration du projet ont été balayées d’un revers de main : il ne faut pas écouter un NIMBY.
Pour ouvrir sa grotte il suffisait à Ali Baba de prononcer la phrase « Sésame ouvre toi ». Et bien aujourd’hui, pour les bousilleurs du cadre de vie, il leur suffit de prononcer une autre formule magique pour faire taire toute velléité d’opposition : « c’est un NIMBY ». Fernandel me faisait sourire ; pas eux.
Bref, si vous n’avez pas envie de vivre pendant 30 ans dans l’ambiance virile d’une carrière, ou si, en ouvrant vos volets le matin, vous préférez voir la ligne bleue des Vosges plutôt qu’une rangée d’éoliennes barrant l’horizon, ou si vous n’êtes pas pressés de voir pousser dans le champ du voisin les derricks prometteurs (pas pour vous !) d’un autre genre de blé, ou si vous en avez marre de recevoir dans votre jardin des déchets plastiques transportés chez vous par un doux zéphyr depuis la décharge voisine, alors, vous-aussi, attendez-vous à être traités de NIMBY.
Bienvenue au club. NIMBY soyez et NIMBY restez. Contrairement à ce qu’on essaiera de vous faire croire, le sentiment de culpabilité ne doit pas être de votre côté : vous êtes sans doute en face de manipulateurs qui savent que désigner quelques boucs émissaires à la vindicte populaire est le moyen le plus efficace pour arriver à leurs fins.
Les nouveaux paysages bucoliques des Hautes Vosges (dommage, il manque le son !) :