J’ai assisté vendredi 4 octobre à une table ronde dans le cadre du dernier Festival de géographie de Saint-Dié, dont la presse a rendu compte. « La clientèle chinoise : une opportunité pour l’économie touristique et les filières d’excellences du Massif des Vosges ? » tel en était l’intitulé, un contenu qui m’avait interpellé.
Les propos de la brochette d’intervenants triés sur le volet, m’ont amenée aux réflexions suivantes. Qu’en était-il et de quoi voulait-on nous convaincre, en faisant miroiter l’apparition d’un nouveau tourisme en provenance de Chine pour nos Vosges ? Le journaliste évoque un débat intéressant. En réalité les intervenants allaient tous dans le même sens, à savoir qu’il fallait attirer une clientèle chinoise dans les Vosges, à tout prix. Opinion surprenante ! Les premières interventions laissant présager l’arrivée d’un nombre important de ces touristes, puisque depuis 5 ans, une « Mission Chine » du Conseil général développe des liens étroits notamment avec la province du Shandong. Et plus étonnant, les diverses actions et voyages d’études (payés par les contribuables) ont abouti nous annonce-t-on, à l’ouverture d’un bureau à Qingdao, une ville de 6,5 millions d’habitants de cette même province, afin de mettre en place des projets économiques et d’apporter un soutien aux acteurs Vosgiens désireux de s’y investir, notamment en matière de tourisme.
Un nouvel Eldorado que ces touristes chinois vu la taille de leur pays ? Pas exactement selon l’un des participants de la table ronde, Benjamin Tauney, géographe, maître de conférence à l’université d’Angers, venu tempérer pour ne pas dire doucher l’enthousiasme général, quand il précisa que : « le marché chinois n’est pas un Eldorado », et peu impressionné par les chiffres présentés par Damien Parmentier du Pôle développement territoire au conseil général des Vosges. Le plus frappant lors de cette table ronde, c’est le quasi consensus constaté, un phénomène de « ruée vers l’or » toute cupidité en avant sans aucun recul ni esprit critique. Quid des Droits de l’Homme, de l’épineux conflit au Tibet, des conditions de travail des Chinois eux-mêmes et de l’absence de démocratie ? Ce qui se jouait dans l’amphithéâtre de l’IUT de Saint Dié ce jour-là, relevait uniquement et impudiquement du business, l’éthique n’y avait pas sa place.
Peu importe non plus en cette période de changement climatique, qu’on aille chercher des touristes à l’autre bout de la planète, amplifiant encore davantage la production de gaz à effet de serre. Mais quel sens cela aurait-il d’aller chercher des touristes en Chine, est- ce cela l’avenir de nos sociétés ? Et puis, si les atouts des Vosges ce sont la nature (une nature préservée,) sa faune et sa flore, cela entre obligatoirement en contradiction avec un tourisme centré sur la consommation de haut niveau et de produits de luxe, exigeant l’aménagement de nouveaux équipements et de nouvelles structures d’accueil. Or, le Massif vosgien, déjà soumis à une sur-fréquentation en période touristique ne saurait supporter l’aménagement d’équipements supplémentaires. En effet le niveau d’alerte dans ce domaine semble atteint et préoccupe les associations de protection de la nature.
Si la parole fut donnée chichement à la salle (il fallut insister d’ailleurs), cela permit de démontrer que l’unanimité que Vosges Matin présente dans son article, n’en était pas une ! Notamment à travers l’argumentation, approuvée par une partie de la salle, d’un intervenant dénonçant l’aspect « délirant, illusoire et complètement obsolète » de cette quête effrénée de touristes chinois dans le contexte actuel.
Il démontra à l’aide d’exemples qu’une pression touristique excessive exerce toujours une action destructrice sur l’authenticité des produits et des savoirs faire du territoire.
Nous ne pouvons plus aujourd’hui raisonner comme il y a 20 ans. Nos sociétés et la planète toute entière sont au pied du mur : réchauffement climatique, déplétion énergétique, raréfaction des matières premières, écarts qui se creusent entre riches et pauvres, accaparement des ressources par les nantis etc. Comment dans ces conditions perpétuer un tourisme planétaire sans âme ni conscience.
Il est illusoire de penser que le transport par avion et le mode de tourisme qu’il a permis de développer pourront se maintenir. Croire le contraire consisterait à perdre le sens des réalités. Comme l’énonce Gérald Messadié, dans l’un de ses ouvrages à propos de l’avenir du tourisme à l’échelle de la planète, « la sagesse recommanderait donc de réduire la voilure », si l’on peut s’exprimer ainsi dans un pays de montagne, et « de considérer, que les infrastructures touristiques et les installations hôtelières sont sans doute promises à un lent déclin ».