Beaucoup de personnes se demandent quelle est, posée devant la maison de La Bresse, cette étrange caisse en bois sur pieds, surmontée en guise de toit d’une autre caisse sur laquelle dans un plastique bleu et blanc partiellement déchiré et en voie de décomposition, couvert de terre, poussent quelques mousses et herbes folles. Si l’on s’approche on devine en façade deux plaques d’un plexiglass qui à connu des heures meilleures et qui a perdu depuis longtemps sa transparence originelle pour exhiber, depuis des époques, si lointaines que nul n’est capable de s’en souvenir, une couleur d’un jaune pisseux particulièrement rebutant. Et si, la curiosité aidant, on s’approche encore un peu on découvre que ces deux plexiglass coulissent et nous font découvrir quelques livres posés là sur deux niveaux d’étagères en contre-plaqué ruisselants d’humidité, et sur lesquelles prospèrent allégrement quelques spécimens de champignons.
Le lecteur perspicace l’aura deviné il s’agit d’une boite à livres, dispositif qui s’est largement répandu depuis les 15 dernières années dans les communes de France et qui consiste à mettre gratuitement à disposition des habitants et de toutes personnes de passage, un lieu d’échanges de livres et de revues, dans lequel chacun peut emprunter et/ou déposer les ouvrages de son choix.
Les boîtes à livres sont fondées sur le principe du civisme, de la solidarité et du partage et ont permis selon de nombreuses études de favoriser l’accès au livre pour nombre d’enfants et de familles qui en étaient éloignés et ceci en raison de difficultés économiques et/ou sociales. Il fut également démontré qu’elles contribuèrent à démocratiser l’accès aux bibliothèques et médiathèques et à fidéliser des publics qui en étaient jusqu’alors exclus.
Il est vrai qu’à La Bresse il n’y a ni médiathèque ni bibliothèque digne de ce nom, et l’équipe municipale considère qu’il est beaucoup plus urgent de construire un funérarium à trois places hors de prix et de surcroît totalement dysfonctionnel. Les familles pour nombre d’entres-elles choisissant d’organiser les obsèques de leur défunt dans des funérariums de communes proches.
Cette équipe abracadabrantesque pense également qu’il est essentiel de construire un rond point sur la rivière, nécessitant la destruction d’un pont (en excellent état au demeurant) et sa reconstruction, mais trois fois plus large, pour en fin de compte accueillir un rond point qui n’en est pas un, l’axe de descente pouvant se négocier sans tourner le volant !!! Ce qui promet quelques surprises à sa mise en service. Tout cela pour la modique somme de 1 231 793€, budget annoncé qui ne manquera sûrement pas de connaître quelques ajustements à la hausse, au motif par exemple que l’eau du Chajoux était mouillée et le granit plus dur que prévu !!!.Et autres joyeusetés du même tonneau.
Cette équipe mérite au moins une inscription au livre des records avec le funérarium et le rond point les plus chers et les plus dysfonctionnels des Vosges, si ce n’est du Grand Est ou de France. Un premier prix pour Monsieur Jérome Mathieu (1er adjoint) qui s’est dépensé sans compter pour le rond point, et un accessit pour Madame Maryvonne Crouvezier (Maire).
Cette « boite à livre bressaude » dont il est clair que la conception et la réalisation ont été inspirées par un furieux souci d’économie de l’argent public qui honore ses concepteurs, occupe ce lieu, soumis aux intempéries, depuis plusieurs années sans avoir connu le moindre entretien, et se trouve dans un état d’abandon désastreux. Outre le design pitoyable, les matériaux bas de gamme utilisés n’ont pas tardé à se détériorer et à transformer cette misérable caisse faite de contre-plaqué, de plexiglass et de sacs plastique, en passoire, humidifiant une partie des livres déposés dont certains baignent dans un jus indéterminé.
Ce scandale ordinaire illustre l’intérêt porté par cette équipe à la culture, tout cela est tellement misérable que l’on vient à se demander si ils savent tous lire. Mais je m’égare car j’ai connu des illettrés qui n’eurent de cesse d’apprendre et de se former pour acquérir les outils qui en firent des hommes libres, respectueux des livres et de la culture.
Dominique HUMBERT-BERETTI Alias GRACCHUS