C’était un samedi matin de mai ensoleillé. La température était douce, dans la rue, les visages s’éclairaient d’un sourire. Les robes à fleurs et les bras nus apportaient confirmation que le printemps, si longtemps espéré était là.
Nous étions à Cornimont, pour assister à la séance exceptionnelle du Conseil Communautaire de la Communauté de Communes de la Haute Moselotte.
Dans la salle, quel contraste saisissant : des visages graves, de rares sourires un brin crispés, une atmosphère pesante. L’heure semblait grave et en effet elle l’était. Il s’agissait pour cette assemblée de tenter de sortir de la nasse dans laquelle elle avait réussi l’exploit de se fourrer toute seule.
Résumé en deux mots : après avoir bien imprudemment acheté très cher, une friche industrielle qui lui restat sur les reins, notre Communauté de Communes se retrouva bien démunie quand l’hiver fut venu. Cherchant par tous moyens à se débarrasser de la chose, d’autant plus que certains malveillants ne manquaient pas de remuer le fer dans la plaie, elle crut avoir enfin trouvé la solution. Ne voilà-t-il pas qu’un groupe tunisien lui proposa de relancer l’activité en faisant toutes sortes de belles promesses, si douces à l’oreille de ces élus. Tous les mots clés étaient présents : emplois au pluriel bien sûr, investissements, sécurité, on y trouvera même économie circulaire et respect de l’environnement. Que demander de plus ? Devant une telle symphonie de belles et bonnes intentions leur religion fut aussitôt faite. Oubliées déjà les graves déconvenues subies avec l’industriel précédent, qui avec les mêmes promesses et la même machine avait en moins d’un an, planté l’affaire et laissé la com com Gros-Jean comme devant. Cette fois, on allait voir ce qu’on allait voir, on ne se laisserait plus abuser par les premiers venus, et les éternels malveillants criticailleurs1 tous azimuts en seraient pour leurs frais.
Résultat de cette brillante réflexion, on fit appel à un cabinet d’avocats à qui fut confié la mission d’écrire un bail en béton armé capable d’assurer la com com contre tous les risques, même les plus improbables.
Une longue négociation que l’on voulait discrète et précautionneuse fut engagée entre les avocats de chacune des parties ; 5 mois furent nécessaires pour aboutir à un projet de bail qui fut enfin soumis à la sagacité de l’assemblée des élus de la com com. Il y eut bien quelques accrocs et quelques fuites scandaleusement exploitées par ces citoyens malveillants, mais nous en reparlerons dans un prochain article.
Et nous voilà par ce beau samedi matin ensoleillé, sagement postés dans les rangs du public (peu nombreux, en fait nous étions les seuls) pour voir et complimenter enfin le résultat de ce travail titanesque réalisé en « toute discrétion et précautions » par les équipes de négociateurs solidement assistées de leurs conseils respectifs.
Le président Dousteyssier ouvre donc la séance et le ton grave annonce qu’il se doit, avant toute chose de lire devant l’assemblée, le contenu d’un mail reçu la veille au soir. Ce mail intitulé : « message des salariés de Cirval Ste marie aux Mines », dont nous avons reçu copie le matin avant la réunion de l’assemblée, dit :
« Bonsoir Monsieur le président Dousteyssier
Il est de notre devoir de vous alerter des problèmes que vous risquez de rencontrer si vous louez les locaux de l’usine Fibers.
Nous sommes des salariés de l’entreprise Cirval de Ste marie aux mines qui était dirigé par Monsieur William Perree le colmarien pendant une durée de 5 ans.Cirval qui est en cessation de paiement et bientôt en liquidation judiciaire.
C’était une catastrophe ,une très mauvaise gestion avec de graves accidents du travail dont une personne qui a eu un bras arraché.
Le préfet en personne s’est déplacé à plusieurs reprises pour évaluer le désastre, pollution du site, la DREAL a publié plusieurs rapports accablant dont 2 arrêtés préfectoraux. Je vous ai envoyé un article de presse des DNA pour mieux comprendre la situation
Prenez contact avec la préfecture de Colmar et l’inspection du travail(0368354500)Madame Grandmaire ,pour de plus ample renseignements.
Veuillez ,Monsieur, recevoir nos sincères salutations. »
Il faut noter que Monsieur Dousteyssier ne lira pas l’article des Dernières Nouvelles d’Alsace joint à l’envoi, et que personne dans l’assemblée ne demandera à en prendre connaissance ! Voir l’article ici.
Manifestement, et à bien observer et écouter les propos du Président Dousteyssier ce dernier découvrait pour la première fois les informations que les salariés de CIRVAL venaient de lui communiquer. Cela ne va pas sans poser problème. En effet le nom de William Pérree est connu depuis au moins 5 mois par les négociateurs de la com com, puisqu’il est un des dirigeants et actionnaire de Carora fibres, et qu’il est annoncé qu’il prendra la direction de l’usine.
Une simple requête avec ce nom, sur n’importe quel moteur de recherche aurait amené le Président Dousteyssier et consorts, a être informé des événements et des circonstances auxquelles a été mêlé William Perree. J’ajoute qu’une recherche à peine plus approfondie mène à des informations qui justifieraient pour le moins une extrême prudence.
Or que se passa-t-il sitôt la lecture de ce mail achevée ? Alors qu’une décision d’ajournement de la signature s’imposait, le Président déclara que la communauté de commune n’est que propriétaire du batiment et n’intervient pas dans la production, puis il donna la parole à l’avocate du cabinet conseil, présente à ses cotés, pour solliciter son avis. Cette dernière, après avoir à peu prés assurer le contraire de ce que venait de déclarer le Président, en disant que le bail intégrait des garanties concernant l’activité de la société, conseilla sans surprise de ne pas tenir compte de cette information et de passer sans plus tarder aux affaires courantes, c’est à dire à la présentation du projet de bail aux conseillers, puis à la signature de celui-ci avec Monsieur William Perree et son associé tunisien.
Remarque « malveillante » : il n’est pas dans la mission de cette avocate, ni d’aucun autre avocat de conseiller l’assemblée sur l’attitude à adopter en pareille circonstance. Cette responsabilité politique, et non juridique, ne peut être délibérée et prise que par l’assemblée elle-même, elle a en l’espèce, tristement montré son incapacité à assumer ses responsabilités.
Monsieur Dousteyssier ajouta : « On avait entendu des rumeurs, le vice président a contacté le maire de Saintes Marie aux mines.. A notre connaissance il n’y a pas de condamnation, à notre connaissance. On n’a pas appelé le procureur ! »
Aucune autre voix parmi les conseillers communautaires ne se fit entendre et sans plus de scrupules on passa donc aux affaires courantes…
Nous reviendrons dans un prochain article, sur la présentation et le contenu du bail puis sur la « discussion » ou ce qui en tînt lieu. Toutefois, je ne résiste pas à l’envie de présenter, en guise d’amuse-bouche, une rapide et sommaire analyse de ce monument de 36 pages.
Un bail de 36 pages qui en réalité n’apporte aucune garantie supplémentaire qu’un bail standard, sinon celle pour le cabinet d’avocat de toucher ses honoraires qui nous l’espérons, car c’est encore nous les contribuables qui payons, ne sont pas proportionnels au nombre de mots de cette usine à gaz !
Que garantit ce bail en cas de dépôt de bilan de la société ? Rien de plus que ce que garantit la loi, c’est à dire pas grand-chose.
Que garantit ce bail en cas de déménagement de la chaîne de production ? Rien de plus que ce que garantit la loi, c’est à dire pas grand-chose, voire rien du tout, si comme on pourra sans doute le vérifier rapidement cette chaîne de production n’est pas propriété de Carora fibres, société signataire du bail!
Un bail de 36 pages, hallucinante débauche de conditions inutiles et superfétatoires, réalisée à grand frais par un cabinet d’avocat, payé sur les deniers publics, et qui au bout du compte ne sert à rien.
Peut-être a-t-on voulu offrir le spectacle de la puissance et de la force de la loi, servi par des acteurs dont la profession d’avocat force le respect des simples et des naïfs qui peuplent notre monde.
Moment paroxystique qui laisse, au propre comme au figuré, sans voix, et vise a annihiler définitivement les dernières étincelles d’esprit critique, qui pourraient subsister.
Mission accomplie, ce bail inutile sera, par une leçon bien apprise, monté au pinacle par chacun(e) des conseillers(ères), qui après avoir récité, tour à tour, sur l’invitation pressante du Président Dousteyssier, leur compliment formaté, voteront comme un(e) seul(e) homme (femme) l’adoption de ce monument érigé en rempart de papier sensé protéger contre tous les avatars réels et imaginaires, en réalité chargé de rassurer ceux qui le veulent bien, et donner bonne conscience à tous les autres.
Ah j’oubliais, la traduction en tunisien de Gros-Jean comme devant c’est : Bouzid habillé, Bouzid nu !!
Le 02 juin 2016
Gracchus
1Nous !