Lundi 28 janvier la municipalité d’Épinal ouvrait “l’espace Cours” au public, invité à participer au “grand débat” qu’elle organisait dans le plus grand respect des prescriptions macroniennes et néanmoins présidentielles. Un débat pipé animé par un journaliste de génuflexion directeur général de Vosges télévision/Vià Vosges, média sous le contrôle total et aux ordres de l’exécutif municipal d’Epinal et du département des Vosges. Afin de fixer les idées il est recommandé de visionner ici la composition de l’organe directeur de ce que certains pensent pouvoir qualifier de média indépendant… Et pour ne pas fâcher au delà du raisonnable, nous n’évoquerons pas ici le financement de ce parangon d’indépendance que même Poutine nous envie.
Quatre thèmes imposés, un temps de parole limité à 2 minutes et un animateur des débats dont l’indépendance annoncée peut être remisée au rayon des bluettes. Toutes les conditions étaient réunies pour une opération de communication !
Nous eûmes en introduction le droit d’écouter Monsieur Heinrich Maire d’Épinal et puissance invitante. Après nous avoir doctement affirmé qu’il ne participerait pas au débat et qu’il n’interférerait d’aucune manière dans celui-ci (nous verrons que ce n’était pas nécessaire tant son ombre aura plané sur les paroles et l’animation du « débat » de Dominique Renauld son obligé…) il termina tout de même par ces mots, lancés en guise d’avertissement à peine déguisé, à ces Gaulois dépensiers que nous sommes : «Je voudrais vous donner quelques éléments de contexte, je ne vous abrutirez pas de chiffres, je ne donnerai que trois chiffres. La dépense sociale représente 57 % de la dépense publique. Le taux de prélèvement obligatoire est de 45 % du PIB, soit 10 points de plus que la moyenne de l’OCDE, et enfin 44 % des foyers payent l’impôt ». C’est en effet une belle manière de ne pas prendre part au débat, en présentant, mine de rien, ces chiffres (éléments de contexte), comme les trois piliers d’un modèle éternel et indépassable, qu’il serait illusoire de mettre en cause et dans lequel les Français seraient les cancres du fond de la classe, car on l’aura deviné M. Heinrich nous suggère finement que la dépense sociale est trop élevée ainsi que les prélèvements obligatoires dont il se garde bien de nous dire de quoi ils sont composés.
Mais le plus extraordinaire dans cette Pagnolade, c’est que Monsieur Heinrich, réussit, en trois chiffres, le tour de force d’enfumer son auditoire. Quel talent ! En effet, en 2016, en France, les impôts sur le revenu et sur les bénéfices des sociétés représentaient seulement 10,6% du PIB et 23,3% des recettes fiscales. Un ratio bien inférieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE
En réalité la principale composante des «recettes fiscales», ce que M. Heinrich appelle prélèvement obligatoire, est constituée dans notre pays par les cotisations de sécurité sociale qui représentent 36,4% du total. En 2015, pour ce même ratio, la moyenne des pays de l’OCDE se situait à 26,2%.
On le voit, c’est donc bien sur les cotisations de sécurité sociale que se distingue la France qui par ailleurs se retrouve dans la moyenne sur d’autres prélèvements comme la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) par exemple, voire en dessous de cette moyenne pour les impôts sur le revenu et sur les bénéfices des sociétés.
Comme les cotisations sociales d’assurance maladie, chômage et retraite donnent accès à des revenus différés, on peut donc légitimement se demander si nous méritons vraiment notre titre de champion du monde de la pression fiscale comme Monsieur Heinrich voudrait nous le faire croire.
Le débat n’était pas commencé que déjà M. Heinrich avait sauté dedans avec ses gros sabots ! Loin d’être innocente cette sortie du Maire d’Épinal appelle au moins deux remarques. La première concerne le fond, en désignant indistinctement et en diabolisant le principe de la cotisation sociale, il vient confirmer son allégeance à la doxa macronienne qui prévoit, sous couvert de réforme, la privatisation massive de la santé, des retraites et au-delà de tous les services publics. Ce faisant il tente de nous enfermer dans un jeu de dupe, dans lequel, nous le peuple de France n’aurons jamais la main, puisqu’à partir de dés pipés nous sommes condamnés à ramer sans cesse pour combler des trous financiers – pour certains imaginaires – dont notre irresponsabilité de dernier de la classe serait la cause ! Il ne nous reste plus qu’à nous ranger aux solutions qui nous sont si généreusement offertes, et qui consacrent la toute puissance d’un système politique, économique et financier qui écrase le peuple, épuise les ressources, et rend invivable notre seul habitat possible, la terre.
La seconde remarque porte sur la forme, non seulement les organisateurs de ce barnum nommé « grand débat » en fixe unilatéralement les règles, mais de surcroît ils se précipitent pour les violer.
Et ils voudraient après cela nous faire des procès en totalitarisme, au motif que nous refusons et dénonçons leur jeu de C..
Intéressons-nous maintenant à l’animateur du débat, ne l’avons-nous pas entendu s’indigner qu’un intervenant mette en cause l’indépendance des journalistes ! Peut-être pensait-il à lui, qui sait? Chacun est susceptible un jour ou l’autre de trouver son chemin de Damas ! Durant le débat, il a essayé désespérément de rebondir dès qu’une question ou une intervention qui lui semblait aller dans le sens de la préservation du système représentatif apparaissait. C’était tout simplement pathétique et je n’ai pu m’empêcher de ressentir de la compassion pour cet homme, malmené dans ses certitudes et son petit bonheur bourgeois qui ne comprenait littéralement rien à la problématique soulevée par le mouvement des Gilets Jaunes. Il n’était pas le seul ce soir là, à ne rien comprendre, et partageait son incompréhension avec une forte délégation de l’establishment spinalien, commerçants aisés, élus en nombre à la mine goguenarde venus là se réjouir du mauvais tour qu’ils pensaient jouer aux Gilets Jaunes, et quelques demi bourgeoises et bourgeois pas moins réjouis d’être venus assister au spectacle du Gilet Jaune fumé (nous sommes dans les Vosges !) tout ce petit monde sagement rangé autour du Maire, a eu l’occasion d’exposer à tous le vide qui les habite. Vide, tout de même peuplé des pires lieux communs appris dans l’entre-soi des arrières salles de leur commerce, royaume de la caisse enregistreuse et du coffre-fort. Lieux communs annonés, répétés à l’envi dans une atmosphère de crétinisme conquérant. Pour résumer, la bourgeoisie locale ne nous avait pas dépêché ses plus fins, ni plus brillants représentants, mais en existent-ils de plus reluisants ?
Nous eûmes l’occasion de nous réjouir un temps du spectacle de quelques uns de ces spécimens bien gratinés lâchés sans freins au milieu de la piste. Mais au-delà de l’anecdote, de ces gens, qui ne manquent pas une occasion de condamner la violence qu’ils disent abhorrer, suintaient une haine sans fard à l’égard des Gilets jaunes. Une haine de classe, une haine de Versaillais pour les Communards.
Quels objectifs visent à atteindre Macron et ses affidés dans cette opération ? Pourquoi réunir les gens pour leur demander d’exprimer leurs idées et les propositions qu’ils souhaiteraient faire sur quatre thèmes imposés. Propositions, déjà connues de tous, pour la plupart d’entre-elles, afin d’en faire un catalogue à la Prévert, puis une fois sifflée la fin de partie, en extraire une par-ci par-là et ouvrir un nouveau grand barnum communicationnel qui mettra en scène les admirables capacités d’écoutes de nos politiciens, qui pour conclure, voteront quelques textes de lois dont ils ont le secret pour tenter encore d’enfouir la révolte du peuple, faisant leur profit de cette phrase prononcée par Tancrède, jeune politicien aux dents longues dans « le Guépard » de Lampedusi « Il faut que tout change pour que rien ne change »
Enfin, voilà ce que déclarait ce vendredi 25 janvier, Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) qui s’est désistée de l’organisation du « Grand débat » : “Nous n’avions pas prévu de faire une opération de communication, on avait prévu de faire un grand débat“. Quand certains de leurs proches font preuve de perspicacité, nous ne pouvons qu’applaudir.
Il ne fait guère de doute qu’ils prennent les Gilets Jaunes pour des imbéciles, c’est d’ailleurs ce que clament haut et fort dans les médias à leur botte quelques uns de leurs courtisans, le mépris étant toujours prêt à bondir de leur bouche. Là aussi ils se trompent, nous avons éventé leurs secrets de fabrication sur lesquels repose la domination qu’ils exercent et qu’ils cherchent désespérément à maintenir.
Bien sûr leur ignominie sournoise trompera encore une partie du peuple, qu’ils tenteront de dresser contre l’autre tout en hurlant à la provocation, à la guerre civile. Comme les Versaillais de 1871 ils n’hésiteront pas à exercer la plus grande violence contre les Communards dont les Gilets Jaunes sont les héritiers. Ils se sont déjà engagés dans cette voie en ordonnant à leur police de blesser, mutiler gravement les manifestants depuis deux mois. Faire peur, instaurer la terreur, c’est leur réponse et ils voudraient nous faire croire au dialogue !
Je conclurai en empruntant ces quelques lignes à un texte de Michel Onfray :
« …couvrir les ennemis des Gilets Jaunes, couvrir les chauffards qui utilisent leurs véhicules comme des “armes par destination” comme il est dit quand on trouve un coupe-ongles dans un sac à dos de gilet-jaune, couvrir des policiers déchaînés, c’est continuer dans la direction empruntée depuis le début par le chef de l’Etat: faire le choix de la guerre civile. » Michel Onfray
Le spectacle ayant assez duré, les Gilets jaunes, porte-parole de la nouvelle association vosgienne décidèrent de quitter la salle, le débat, l’animateur, le Maire, le député, le sénateur et les versaillais. Ils se levèrent et sortirent.
Le 31 janvier 2019
Gracchus