Rappelez-vous, la Communauté de communes de la Haute Moselotte a acheté par délibération du 25 janvier 2013, les bâtiments de l’ancienne usine de la Médelle à Saulxures sur Moselotte, pour les louer à une société dont le dirigeant se targuait d’avoir inventé un nouveau concept de recyclage des fibres synthétiques. Cette société, Fibers, a été à l’époque portée sur les fonds baptismaux par la fine fleur des politiciens locaux qui ne manquaient pas d’exprimer, par médias interposés et force délibérations, leur enthousiasme pour ce projet, et son porteur Monsieur Charbonnier.
La suite, tout le monde la connaît, elle fut dramatique. Un accident mortel dû à l’absence de sécurité sur une machine, la déconfiture totale du procédé « révolutionnaire » baptisé « nouveau concept » par Monsieur Charbonnier avec, à l’époque, le soutien indéfectible du député Vannson, puis la liquidation de la société, le licenciement des 40 salariés et la disparition concomitante des écrans du député Vannson.
Je vous fais grâce des multiples péripéties et des rebondissements que connut cette malheureuse affaire, jusqu’à la vente rocambolesque des machines à un groupe tunisien, pour une bouchée de pain le 12 décembre dernier. Je passe aussi sur les questions qui restent aujourd’hui encore sans réponse. Notamment, sur la destination des sommes d’argent public englouties dans cette catastrophe. On parle de six millions d’euros d’argent public et de sept millions d’euros d’investissement privé! Les nombreux articles publiés sur ce blog pourront être utilement lus ou relus pour se faire une idée des multiples aspects du dossier.
Mais ce qui nous interpelle aujourd’hui constitue un nouveau rebondissement de taille dans ce feuilleton. La Communauté de communes a fait l’acquisition de ce bâtiment, le 25 janvier 2013 pour 900 000€ d’argent public ; or, nous venons d’obtenir l’évaluation réalisée à l’époque, le 05 novembre 2012 par le service des domaines de la Direction départementale des finances publiques des Vosges, qui écrit dans la réponse à la demande qui lui est faite : « Compte tenu des données les plus récentes du marché immobilier local, des caractéristiques visibles de l’immeuble, et des éléments d’appréciation dont dispose le service, la valeur vénale maximale ressort à : 600 000€ » !!!
Cette évaluation est de plus conditionnée, à des réserves fortes, relatives à la présence d’une turbine hydroélectrique, restant propriété des vendeurs, et située au cœur même de la partie bâtie de l’ensemble immobilier, ainsi qu’à l’ignorance dans laquelle se trouve l’évaluateur de la présence ou non de matériaux polluants sur le site. Ces éléments étant de nature à entraîner des servitudes nouvelles dont la nature et l’impact sur l’ensemble du site n’ont pu être déterminés.
A ce stade plusieurs remarques s’imposent :
1- La première d’entre elles a, depuis le début, été soulevée par nos soins. Pourquoi la Communauté de commune achète-t-elle cette friche industrielle, pour la relouer au porteur du projet, alors qu’il eût été plus simple et naturel que ce dernier la loue directement au propriétaire, industriel comme lui. A cette question les élus de la Communauté de commune, si prompts par ailleurs à s’indigner ici et là qu’on puisse émettre des critiques, n’y ont jamais apporté de réponse.
2- Nulle part dans les délibérations de la Communauté de communes relatives à la décision d’acquisition, on ne trouve trace des 600 000€ correspondant à l’évaluation du service des domaines. Y aurait-il eu volonté de dissimulation ?
3- Les Collectivités territoriales ne sont pas tenues, il est vrai, de respecter l’évaluation des domaines. Lorsqu’elles souhaitent acquérir un bien dont la valeur est supérieure au prix estimé par les services fiscaux de l’Etat, elles se trouvent dans l’obligation de justifier cette décision, au regard, notamment, de l’intérêt public local représenté par cette acquisition, et de délibérer au vu de l’avis de l’autorité compétente de l’État (art L1311-11 du code général des collectivités territoriales). Aucune trace de cela dans les délibérations des 14 décembre 2012 et 25 janvier 2013 qui ne font nulle part état d’un prix d’achat supérieur de 50 % et des raisons de cet écart.
Avec quelle légèreté, avec quelle inconscience, sous réserve de développements à venir qui pourraient nous réserver d’autres surprises, ces élus ont-ils décidé, dans une unanimité moutonnière, d’acheter 50 % plus cher ces bâtiments, pour les mettre au service d’un projet dont ils ne connaissaient rien ou si peu, et sur lequel ils n’ont de plus pas cherché à s’informer pour en évaluer le sérieux. Une simple prise de contact avec des professionnels de cette activité aurait suffi à leur montrer l’absence de viabilité économique du projet.
Il est d’ailleurs navrant de lire, le 30 décembre 2015, sur un site d’information locale, à propos de l’éventuelle reprise de l’activité sur place, suite au rachat des machines par un industriel tunisien, cette déclaration de Monsieur Dousteyssier, Président de la communauté de communes : « les industriels de la région nous disent que le marché du recyclage de fibres n’est actuellement pas viable…».
Puis le même jour, dans un journal local cette fois, Jérôme Mathieu, vice-président chargé du développement économique y va de sa déclaration péremptoire : « Il y a un intérêt à la redémarrer (la machine), elle est en place, dans un bâtiment adapté pour elle et une main d’œuvre locale qualifiée. Il y a un marché de la fibre recyclée.»
L’exact contraire de la déclaration de son Président !! et accessoirement des avis autorisés des professionnels du secteur.
Et ce n’est pas fini, « last but not least », l’homme dont la clairvoyance ne tardera sans doute pas à illuminer le pays tout entier, déclare à un site internet d’information, le 05 janvier, soit quelques jours après : « Posséder une usine de recyclages de fibres au centre de l’Europe, c’est intéressant pour eux car ça réduirait les coûts de fabrication. Ils détiennent déjà trois usines en Tunisie » A cet instant Jérôme Mathieu touche au sublime. Il est le seul à affirmer contre toutes les évidences, qu’une activité industrielle de ce type, serait plus rentable en France que dans les pays où le coût de la main d’œuvre y est quatre fois moins cher !!!
A moins d’envisager de faire des cadeaux inconsidérés à l’industriel tunisien, comme la vente à vil prix, voire la cession à l’euro symbolique des bâtiments, et de l’abreuver abondamment de subventions publiques de toutes sortes, il n’est malheureusement pas crédible d’envisager une reprise pérenne de l’activité sur place.
Mesdames et Messieurs les conseillers communautaires, Monsieur le Président, après avoir tous ensemble collectionné autant de brillantes réussites en matière économique, (Lansauchamps, La Médelle…) il est urgent de vous ressaisir. La première des mesures à prendre de toute urgence me semble être le retrait de la responsabilité du développement économique à Monsieur Mathieu. Ses récentes déclarations ne devraient plus laisser aucun doute sur cette absolue nécessité. Si vous ne le faites pas vous serez coresponsables, en connaissance de cause, des futures catastrophes que ne manquera pas de provoquer une telle impéritie.
Pour le reste, n’hésitez pas à vous poser les bonnes questions et à tirer le bilan de cette catastrophe industrielle, financière et politique. Il serait logique dans un monde responsable que vous en assumiez les conséquences, et que votre démission fasse partie des sorties envisageables. Mais c’est sans doute trop vous demander…
Gracchus
Le 06 janvier 2016
3 Responses to Fibers : une odeur de scandale politico-financier ?